Nos autres médias ToulÉco | ToulEmploi | ToulÉco TV | ToulÉco Tarn

« Pas de transition écologique sans réflexion profonde sur nos modes de décision »

Docteur en droit de l’environnement, Julien Bétaille est maître de conférences à l’université Toulouse 1 Capitole depuis 2013 et membre de l’Institut universitaire de France depuis 2022. Il consacre ses travaux à l’étude du droit de l’environnement et à l’impact des normes sur la protection de notre planète.

Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le droit de l’environnement ?
Je suis natif de Corrèze, j’ai grandi en milieu semi-rural. J’ai eu la chance de faire mes études à l’Université de Limoges, où l’un des grands pionniers du droit de l’environnement, Michel Prieur, dirigeait un master sur la thématique en France. J’étais sensible aux aspects climatiques, pollution et biodiversité, qui sont les trois grands domaines de la matière. J’ai réalisé une thèse sur l’effectivité de la norme, illustrée à travers des cas d’application en matière d’environnement et d’urbanisme. J’enseigne et poursuis depuis mes recherches dans ce domaine.

Quel est le rôle du droit dans la transition écologique ?
Le droit peut être considéré comme l’un des outils de la direction des conduites humaines. Dans un régime démocratique, c’est un instrument parmi d’autres du changement social, au service d’objectifs politiques déterminés par la représentation nationale. Dans le domaine de la transition énergétique, climatique, environnementale, le droit joue un rôle très important. Il s’agit de faire évoluer un certain nombre de comportements pour ne pas dépasser des points de non-retour.

Le droit de l’environnement est-il utile pour protéger notre planète ?
Les travaux scientifiques permettent d’avoir des informations fiables sur l’état de l’environnement. Nous nous trouvons aujourd’hui face à un paradoxe. D‘un côté, les règles juridiques qui protègent l’environnement n’ont jamais été aussi développées, de l’autre, les crises écologiques n’ont jamais été aussi graves. Alors, le droit est-il utile ? Il s’avère que même s’il n’a pas mis un coup d’arrêt à ces crises, l’édifice normatif, dont l’origine remonte aux années 1970 en Europe, a joué un rôle immense, comme en attestent les évaluations régulières réalisées par la Commission européenne. On a déjà fait une partie du chemin. Par exemple, la création de réserves naturelles est utile à la préservation des espèces. La situation serait bien pire sans les règles protectrices du droit de l’environnement, par exemple sur la qualité de l’eau ou de l’air.

Aujourd’hui, il existe des dispositifs de compensation écologique pour contrebalancer les effets d’aménagement potentiellement créateurs de nuisances. Ces mesures sont souvent controversées car elles semblent permettre de contourner la loi. Qu’en pensez-vous ?
On peut effectivement être sévère vis-à-vis de ces dispositifs. En gros, il s’agit de « compenser » la destruction de choux par la production de carottes, sans aucune garantie que les carottes ne poussent effectivement. Néanmoins, si on prend du recul, on peut les envisager comme des tentatives de conciliation avec les activités humaines. C’est la question environnementale par excellence. On avance, mais on fait aussi des pas de côté. Les limites du droit sont nos propres limites, des limites politiques.

Entre expertises scientifiques et choix politiques, le droit est-il finalement un instrument suffisamment fort ?
Toute la difficulté consiste à faire des arbitrages, pour prendre des décisions socialement acceptables. Il faut nous interroger sur le processus démocratique de prise de décision. L’équation de la transition écologique, c’est de savoir comment prendre des décisions à la hauteur des enjeux, donc dotées d’une certaine radicalité, dans des délais de plus en plus courts, de manière démocratique, c’est-à-dire en suscitant l’adhésion massive aux mesures prises. La réflexion démocratique et institutionnelle doit avoir lieu pour générer les outils à la hauteur de l’objectif écologique. Il n’y aura pas de transition écologique sans réflexion profonde sur nos modes de décision, en témoignent l’échec de la taxe carbone avec les gilets jaunes ou encore les problèmes de gestion de l’eau avec les agriculteurs.
Propos recueillis par Valérie Ravinet

Sur la photo : Julien Bétaille, enseignant-chercheur en droit de l’environnement, UT1 Capitole – Crédits : DR

Réagir à cet article

Source : https://www.touleco-green.fr/Pas-de-transition-ecologique-sans-reflexion-profonde-sur-nos,37644