Olivier Coadebez, quel est l’objectif de cette visite décennale ?

L’objectif principal est de pouvoir réaliser un certain nombre de contrôles réglementaires et des opérations de maintenance sur des matériels pour obtenir auprès de l’Autorité de Sûreté Nucléaire l’autorisation de fonctionner pour 10 années supplémentaires. Nous réalisons véritablement un check up complet de l’installation. Tous les dix ans, nous effectuons ainsi trois contrôles qui caractérisent cette visite particulière. La loi nous impose de faire un certain nombre de tests sur deux composants essentiels que sont la cuve du réacteur et le bâtiment en béton qui abrite cette cuve.
Que se passe-t-il dans cette cuve ?
Cette cuve c’est un gros récipient de 4 mètres de diamètre et de 13 mètres de hauteur dans lequel se trouvent le combustible, à savoir les assemblages d’uranium. Elle est connectée à un circuit d’eau, le circuit primaire qui permet à la fois de récupérer la chaleur émise par la réaction nucléaire de l’uranium et de refroidir ce combustible. La cuve est soumise à des conditions thermo-hydrauliques exceptionnelles. En fonctionnement normal, l’eau circule à l’intérieur de la cuve à une température de 300 degrés et une pression de 155 bars. C’est un équipement sous pression qui nécessite d’être contrôlé. La machine d’inspection en service (MIS) est un robot qui nous permet de faire des contrôles très précis de l’état d’intégrité de la cuve. La MIS contrôle intégralement les soudures et le revêtement de la cuve.
Que recherchez-vous ?
D’éventuels défauts, type microfissures, défaillance du revêtement qui pourraient nuire à l’étanchéité de la cuve. Le but principal est que cette cuve soit complètement étanche.
Des fissures il y en a forcément, les matériaux vieillissent naturellement ?
Non, on contrôle qu’il n’y a pas depuis l’origine de nouveaux défauts, de nouvelles dérives de défauts existants mais acceptables. Les contrôles réalisés permettent de vérifier la qualité des matériaux en rapport avec un référentiel d’exigences. On s’assure ainsi de la qualité intrinsèque de cette cuve et donc de sa fiabilité en terme d’étanchéité.
A quoi ressemble ce robot ?
C’est comme une araignée qui descend dans ce cylindre, qui vient glisser sur les parois. Le robot entièrement automatisé effectue des contrôles par ultrasons, par radiographie et par examen télévisuel.
Le deuxième test est un test réel. On cherche à s’assurer de l’étanchéité de ce composant, donc de la cuve, plus de toutes les tuyauteries qui arrivent et en partent. Ce circuit qui permet de faire circuler de l’eau, est testé sous pression. On le remplit d’eau et on en monte la pression à 207 bars pendant 4 heures. C’est une épreuve hydraulique. On va tester physiquement la capacité du circuit primaire principal, à rester complètement étanche dans des conditions largement supérieures à une pression de fonctionnement normal.
Quelle est la troisième opération ?
L’épreuve enceinte : On teste le bâtiment réacteur à l’intérieur duquel on retrouve la cuve du réacteur et le circuit primaire. On vérifie que ce bâtiment est étanche. Pour cela, à l’aide de gros compresseurs sur plusieurs jours, on va monter la pression à l’intérieur du bâtiment jusqu’à 4,2 bars, ce qui est considérable pour un bâtiment de cette taille-là. Puis, on réalise des contrôles et des mesures de ses parois en béton.
Quand on fait de tels tests, on évacue la population alentour ?
Non ! On évacue juste le bâtiment. A l’extérieur, ça ne présente aucun danger ! Bien évidemment, le combustible a été retiré de la cuve et de ce bâtiment lors de ce test. La configuration que l’on teste est une configuration extrême qui ne peut se produire qu’en cas d’accident majeur. Ce que l’on veut démontrer, c’est la capacité de ce bâtiment à pouvoir résister à un accident majeur.
Quel est le risque majeur ?
Le pire pour nous, c’est une rupture d’une grosse tuyauterie d’alimentation en eau de la cuve. Ce qui pourrait amener une perte de refroidissement du combustible et une augmentation de la pression à l’intérieur du bâtiment, mais sans atteindre 4 bars. Donc la démonstration que l’on fait par le test décennal, c’est que dans des conditions sous pression supérieures à 4 bars, le bâtiment reste intègre et étanche.
Comment se passe le quotidien de Golfech pendant ces 100 jours de visite décennale ?
C’est un travail conséquent qui nécessite beaucoup de ressources. Pendant cette période là, en plus des 750 agents sur le site, on aura 1500 agents prestataires. Quand on est en arrêt, c’est beaucoup d’activités de maintenance et de travaux de modifications qui sont réalisés, contrôlés, vérifiés, et qui s’enchaînent 24h sur 24.
Quel est le coût d’une telle opération ?
38 millions d’euros.
Et quelles sont les conséquences pour le citoyen ?
Il n’y en a pas directement. Quand on arrête une unité de production, le système de gestion du réseau au niveau national (et européen) garantit que la production est égale à la consommation. Il faut en effet toujours maintenir cet équilibre, puisqu’on ne sait pas, au delà des barrages, stocker l’énergie électrique une fois qu’on l’a produite. Quand elle est produite il faut la consommer. L’arrêt d’une centrale nucléaire est donc programmé plusieurs années à l’avance et on sait qu’à ce moment-là, on aura suffisamment de moyens de production sur l’ensemble du parc de production français pour répondre à la consommation demandée.
Quelle est la production de Golfech ?
La puissance de chaque unité est de 1300 MW, ce qui permet de produire entre 15 et 20 TWh par an. Cela correspond à la consommation de la région Midi-Pyrénées.
Le 21ème siècle est une ère nouvelle dans la réflexion et le regard que l’on pose sur l’énergie nucléaire. Comment envisagez-vous l’avenir du nucléaire ?
Je suis persuadé qu’il faut de tout dans un mix énergétique, du nucléaire et du renouvelable, comme l’hydraulique, l’éolien, le solaire. Mais n’avoir que du renouvelable ne permettra pas d’avoir en continu et en permanence, un équilibre production-consommation. Si vous prenez l’éolien, il produit quand il y a du vent, idem pour le solaire quand il y a du soleil. Ce sont des énergies complémentaires, il faut continuer à investir, comme le fait EDF, et les rendre efficaces. Par contre il faut une énergie de base, un moyen de production qui est stable. Soit du nucléaire, soit des centrales thermiques classiques au charbon, au fuel. Aujourd’hui, la rentabilité du nucléaire est réelle, puisqu’elle nous permet d’avoir de l’électricité à des coûts énergétiques les plus bas d’Europe. Le nucléaire sera nécessaire parce que c’est l’un des moyens qui permet de produire en masse de l’énergie.
La prochaine loi sur la transition énergétique aura quel impact sur le nucléaire en France ?
On est assujettis à la loi et aux décisions politiques et gouvernementales que l’on appliquera. Mon travail, c’est d’assurer la production avec une sûreté optimale des installations, pour que tous les jours chacun d’entre nous puisse avoir de l’électricité. Comme je l’expliquais précédemment, nous avons une particularité avec nos centrales françaises c’est que, tous les 10 ans, nous remettons sur la table notre autorisation de produire. Et nous ne l’obtenons de la part de l’ASN que si nous avons démontré l’amélioration continue de la sûreté de nos installations.
Donc rendez-vous dans 100 jours ?
Oui, pour conclure sur cette visite décennale et dans 10 ans pour la prochaine demande d’autorisation.
Propos recueillis par Virginie Mailles Viard
Sur la photo : photo de l’intérieur du bâtiment réacteur (lors d’un arrêt pour visite décennale). L’inspection de la cuve du réacteur se fait grâce à la Machine d’inspection en service (MIS) que l’on aperçoit au centre de la photo.
Photo 2 : Olivier Coadebez, directeur de la centrale de Golfech.