François Renaud, dans Ecologie de la santé paru en février, vous qualifiez la grippe aviaire qui décime actuellement les élevages de canards du Sud-Ouest de « maladie du progrès », pourquoi ?
François Renaud : Il y a un point fondamental que l’homme doit analyser et que tous les politiques doivent analyser : c’est l’augmentation démographique sur notre planète. Nous sommes plus de sept milliards aujourd’hui. Nous étions un peu plus de deux milliards il y a soixante ans et dans vingt ans nous serons neuf ou dix milliards. Comment allons-nous nourrir ces populations mondiales sans produire des protéines de masse ? C’est une question fondamentale. Car « Protéine de masse », ça veut dire élevage ou agriculture intensive et cela fait partie de la notion de progrès que l’homme a développé au cours de son évolution. Or quand vous mettez des densités importantes d’individus dans un même espace, - que ce soient des oiseaux, des mammifères, ou même du maïs ou du colza -, cette masse augmente les risques de réacteurs biologiques favorables au développement des pathogènes. Vous amenez de la matière première à des virus. Par rapport à il y a quarante ans, le changement d’échelle dans la concentration des élevages, modifie tout. C’est peut être bon pour le marché économique mais en effet collatéral, c’est du bain béni pour les pathogènes, comme on le voit avec ces épisodes à répétition de grippe aviaire. Pour enrayer le procédé, il faudrait regarder ce qui se passe entre les épidémies.
C’est l’objet de l’écologie de la santé ?
Aujourd’hui on soigne quand on est malade un individu ou un écosystème. Une fois que la maladie est terminé, on attend. La vraie question est que se passe-t-il à partir de ce moment-là ? Le virus Ébola a émergé d’un coup dans des régions où il n’avait jamais été auparavant. Aujourd’hui on dit qu’il n’y a plus de cas déclarés d’Ébola dans ces mêmes régions. En réalité il est toujours là mais la question est : où est-il ? Et quand va t-il resurgir ? S’en préoccuper, c’est faire de l’écologie de la santé. Ce n’est pas une lapalissade : « la meilleure façon de se soigner , c’est de ne pas tomber malade ». Quand vous avez un cycle avec un pathogène, si vous connaissez le comportement biologique de ce pathogène dans l’environnement, c’est là que vous pouvez lui faire mal. Vous pouvez, en amont, enrayer les possibilités qu’il se propage. Si nous développons des recherches sur comment ça marche dans l’écosystème, nous résoudrons beaucoup de problèmes avec beaucoup moins d’argent que ce qui est dépensé actuellement pour traiter le mal. Nous éviterons une crise économique comme celle que vivent les éleveurs de canard. C’est ce que propose l’écologie de la santé.
N’y a t-il pas urgence à développer ces recherches dans le contexte actuel du réchauffement climatique ?
Le réchauffement climatique, c’est la partie émergée de l’iceberg. La terre se réchauffe naturellement et le problème est l’accélération du réchauffement et son influence sur les écosystèmes. On ne sait pas le gérer. On dit que cela va développer des pathogènes mais on n’en sait rien. Ce que l’on sait est que cela va perturber les équilibres et développer l’apparition de pathogènes dans des zones où ils ne sont pas aujourd’hui. Mais où ? Lesquels et que vont-ils faire ? Personne ne peut le dire. Nous avons une boite noire. Or il faut absolument aujourd’hui développer ces recherches. Il faut instituer et mettre en place des observatoires en écologie de la santé comme les géophysiciens ont développé des observatoires du globe terrestre qui nous permette aujourd’hui d’avoir une météo précise et d’anticiper des alertes.
Où en est l’écologie de la santé en France aujourd’hui ?
Le CNRS porte des projet à l’Institut Ecologie et Environnement (InEE-CNRS), mais il est trop seul. Les appels à projets nationaux dans le domaine sont bien trop faibles par rapport aux enjeux. L’objet de cet ouvrage est d’informer les citoyens sur ce qui se passe pour qu’il y ait une prise de conscience démocratique qu’il est urgent de faire quelque chose. Un pathogène a ses caractéristiques pour se développer et se reproduire. Si on arrive à connaitre les paramètres qui lui sont essentiels dans l’environnement, alors nos actions seront efficaces et nous éviterons des traitement de masse qui génèrent toujours une sélection de la résistance, sans parler du coût économique. Si il n’y a aucune concertation mondiale dans ce domaine, c’est parce que cela ne rapporte pas d’argent directement. Pour qu’une politique de la santé digne de ce nom émerge en France et au niveau mondial, il faut développer un axe « écologie de la santé ». La médecine est nécessaire pour soigner mais elle n’est pas suffisante à elle seule. Il faut prendre en compte la santé de l’ensemble de l’écosystème.
Propos recueillis par Aurélie de Varax
Sur la photo : François Renaud, directeur de recherches au CNRS au sein de l’unité Maladies Infectieuses et Vecteurs, Génétique, Evolution et Contrôle (MIVEGEC) à Montpellier. Il est le coordinateur de l’ouvrage Ecologie de la santé, paru en février aux éditions Le Cherche Midi en partenariat avec le CNRS. Photo CNRS