Pierre d’Agrain,
dans votre travail d’expert comptable, vous posez un regard sur tous les domaines de la responsabilité sociétale (RSE). Comment agissez-vous sur ces données pour aider l’entreprise à franchir des paliers ?
On a d’abord un rôle de constat, la politique de RSE reste elle du domaine de l’entreprise. A partir du moment où une entreprise dépasse la ligne jaune et a un comportement irrégulier, on peut faire des recommandations. Là, on peut dire à l’entreprise, en matière sociale, ou environnementale, vous êtes en irrégularité par rapport à la loi. Il faut que vous changiez vos pratiques. Mais par rapport, par exemple, à l’égalité hommes-femmes, c’est au dirigeant d’analyser au regard de son secteur d’activité, ses besoins, ce qu’il peut faire de mieux.
Votre accompagnement par rapport au rapport RSE ne se réduit pas juste à viser les bonnes pratiques ?
Nous avons toutes les informations pour dire, voilà la pratique de l’entreprise dans ce domaine-là. Par exemple si elle compte moins de 50 salariés, elle est soumise à des règles en termes de dialogue social. On décrit ce qui se passe, et on le met en vis-à-vis de ce qui lui est imposé par la loi. On a la chance, en tant qu’expert-comptable, d’avoir et une bonne connaissance juridique, en matière sociale, environnementale et sociétale et une bonne connaissance de l’entreprise puisqu’on s’occupe d’elle au quotidien.
Vous êtes à l’interface des deux mondes, de la loi et de l’entreprise. En quoi la RSE a modifié votre façon d’aborder l’entreprise ?
On a toujours eu ce rôle de contrôle de la régularité. Le nouveau rôle que l’on a, c’est d’observer et de présenter l’entreprise d’une nouvelle façon. Une nouvelle présentation de l’entreprise et de ses activités, qui jusqu’à présent, n’était pas demandée - elle ne parlait pas par exemple de ce qu’elle faisait en matière d’implication sociétale jusqu’à peu de temps. Alors que ça a toujours été un souci dans l’entreprise de ne jamais être discriminante ou de s’impliquer dans son environnement. Le fait de mettre noir sur blanc des comportements plus ou moins valeureux, force les entreprises à se poser des questions pour aller dans un cercle vertueux.
Est-ce que cette démarche RSE est pour les experts-comptables une plus-value auprès des entreprises ? Est-ce que cette demande vient aussi de la part des entreprises, qui chercheraient des cabinets affûtés sur ce sujet-là ?
L’obligation de communication en termes de RSE s’impose aux entreprises depuis 2012. On a très peu d’entreprises sensibilisées à ça. On est plutôt entrain d’évangéliser pour les sensibiliser. Les groupes du CAC40, peuvent produire un pavé sur leur rapport annuel de la RSE. Certaines communiquent là-dessus par ce que c’est important dans leur secteur, pour leur marketing. Mais pour les autres activités, on n’en est pas là encore. Pour les entreprises, c’est une démarche supplémentaire. Soit elles se soucient de ça spontanément du fait de leurs obligations, de leur activité, soit c’est nous qui les sensibilisons. Du coup, cela devient pour nous une mission complémentaire à la mission récurrente.
Est-ce que ça lui coûte plus cher de voir avec l’expert-comptable si elle est dans les clous ?
Nous donnons l’information gratuitement. On lui dit quel est l’intérêt pour elle de se pencher sur cette démarche RSE, et quel serait le coût pour elle de faire un rapport RSE complet. Ce qui permet de faire un devis, le coût de ce rapport, et le maintien de cette démarche dans l’entreprise de manière récurrente. Nous mettons nos clients en relation avec notre partenaire le bureau Véritas, qui eux sont aptes à pouvoir certifier l’entreprise. Tout le travail que l’on fait en amont avec les entreprises permet de réduire les coûts de la certification Iso 26000.
Est-ce que la démarche RSE est vécue comme un moteur économique ?
Les chefs d’entreprise sont déjà très pris, et leur imposer cette démarche c’est une contrainte en plus. Mais à partir du moment où c’est obligatoire, et que ça leur parait pertinent en termes de marketing, ils disent pourquoi pas. Mais il faut arriver à leur faire comprendre l’intérêt qu’ils pourraient avoir. Au delà de l’aspect contraignant, il faut que ça devienne quelque chose de valorisant dans l’entreprise, tant en termes de management interne qu’en marketing externe. Pour l’instant, étant donné la conjoncture, les chefs d’entreprises sont focalisés sur autre chose. Dès que la conjoncture sera favorable, cela deviendra un critère de différenciation vis-à-vis de la concurrence, comme l’a été la norme Iso 9000 il y a 20 ans. C’était du décorum, elle est devenue essentielle et discriminante. On se sent plutôt en pionniers sur un marché à créer. On a investit de la compétence dans ce domaine-là parce qu’on pense que c’est un marché d’avenir.
Qu’est-ce que vous vous appliquez au sein de votre cabinet pour promouvoir les démarches de développement durable ?
La matière première de la comptabilité, c’est la facture papier. Les développements que nous réalisons dans le numérique visent à détruire complètement le flux papier. Grâce à nos plate-formes informatiques que nous mettons en œuvre, et nos différents outils, nous sommes entrain de promouvoir dans les entreprises le fait de ne plus utiliser de papiers dans tous les échanges de flux inter-entreprises.
Donc ça c’est un challenge important pour nous. Notre activité va devenir pourvoyeuse de solutions environnementales, puisque l’empreinte de notre activité sur l’environnement va être beaucoup plus faible, à partir du moment où l’on va favoriser et développer ce type de solutions numériques dans les entreprises. Notre stratégie numérique a pour vocation à limiter fortement le papier et les déplacements. A partir du moment où tout est numérisé, il est moins nécessaire de se déplacer chez nos clients, on partage les mêmes base de données, on échange des flux.
Propos recueillis par Virginie Mailles Viard
_ Sur la photo, Pierre d’Agrain, directeur du cabinet Exco à Toulouse.