Depuis 75 ans, l’appellation d’origine contrôlée Fitou cultive ses différences. Ce vignoble 100 % audois, connu depuis l’Antiquité, s’étend entre mer et montagne sur neuf communes, les unes en façade maritime comme Caves, Fitou, Leucate ou La Palme, les autres, plus en altitude, situées dans le massif des Corbières, au pied du Mont Tauch, comme Tuchan ou Paziols.
Ces deux terroirs discontinus, séparés par une trentaine de kilomètres, se retrouvent autour de leur cépage rouge identitaire, le carignan, qui règne en maître aux côtés du grenache noir et, pour d’autres assemblages, du mourvèdre et du syrah. Véritable socle de l’appellation, ce cépage originaire d’Espagne, a été choisi dès 1948 dans le cahier des charges de l’AOC pour sa capacité à s’adapter au climat sec méditerranéen. À une époque où le Languedoc fait la part belle aux vins de faible degré et produit en grande quantité, les vignerons du Fitou défendent déjà leur spécificité.
« Nous sommes depuis l’origine un terroir bicéphale mais uni et surtout visionnaire. Les hommes et les femmes du Fitou ont voulu mettre en lumière la qualité de leur vins rouges et se sont entêtés pour conserver ce cépage autochtone, capable de résister aux éléments naturels. On nous a considérés comme des parias et, aujourd’hui, nos vins se retrouvent sur les tables de l’Élysée et chez de grands sommeliers, même s’ils sont moins connus du grand public », explique Alain Gleize, président de l’AOC.
Premier vignoble du Languedoc à avoir décroché son AOC, le Fitou est aussi la seule appellation dont la surface a diminué à la demande de ses vignerons. Depuis 2017, elle couvre 1970 hectares contre 2600 à l’origine, réunit 182 producteurs, trois caves coopératives et 37 caves particulières. Sa production annuelle, intimiste, ne dépasse pas les 65.400 hectolitres et les 9 millions de bouteilles, dont la majorité sont vendues directement dans les caves.
Préserver la ressource en eau
L’AOC Fitou, qui fait face depuis toujours à un climat assez extrême, marqué par l’omniprésence du soleil et du vent et une faible pluviométrie, n’est évidemment pas épargné par le réchauffement climatique. « Ces treize derniers mois, il est tombé 101 millimètres au m2. Le désert est à 250. On arrive aux limites de la résistance de la plante », souligne Jean-Marie Fabre, à la tête du domaine de la Rochelierre, à Fitou, et membre du conseil d’administration de l’appellation.
Dans cette nécessaire adaptation, les vignerons du Fitou trouvent dans la robustesse du carignan leur meilleur allié et la preuve des choix avant-gardistes de leurs prédécesseurs. « Ce cépage permet aussi à nos vins de se démarquer par rapport à des vins plus stéréotypés issus de cépages océaniques comme le merlot ou le syrah, qui ont été privilégiés car plus porteurs à l’international », explique le vigneron audois. En pleine période de sécheresse, il redoute évidemment, comme beaucoup d’autres, l’été qui s’annonce. Les expérimentations en cours dans le vignoble visent toutes à pallier le manque d’eau et à préserver les ressources. Sur le littoral, 80 hectares de couverts végétaux ont été plantés pour capter l’eau, la rendre à la vigne et freiner le ruissellement. La cave coopérative de Cap Leucate développe aussi, depuis 2019, un projet pilote de recyclage des eaux usées pour l’irrigation.
À Tuchan, le domaine de Rolland, conduit par Pauline Colomer-Romera, premier vignoble de l’appellation à être passé en bio, on joue sur la surface foliaire depuis longtemps pour faire de l’ombre aux sols et aux raisins et limiter l’évapo-transpiration. De façon plus globale, une réflexion autour d’une évolution du cahier des charges de l’AOC intégrant le volet agroécologie est menée. « Une étude de l’Inrae et du laboratoire Dubernet de Narbonne vient de démarrer. L’objectif est de quantifier la vie dans les sols pour connaître le taux de matière organique et préconiser, dans le cahier des charges, certaines pratiques agronomiques. Cela permettrait de jouer sur deux leviers : capter le carbone et stocker de l’eau de façon à la restituer à la plante », explique Jean-Marie Fabre.
Johanna Decorse
Sur la photo : L’AOC Fitou réunit 182 producteurs entre mer et montagne autour de son cépage rouge emblématique, le carignan. Crédit : DR.