C’est désormais acquis. L’atténuation des émissions de gaz à effets de serre ne suffira pas dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les entreprises seront obligées de s’adapter à une trajectoire de réchauffement à deux degrés d’ici la fin du siècle, et son corollaire de conséquences : manque d’eau et nouvelles exigences des consommateurs dans l’agroalimentaire, perte de bodiversité dans l’industrie pharmaceutique etc. Comment évaluer son exposition au risque climat et s’adapter ? Le Café Green organisé ce jeudi par ToulÉco Green avec le soutien de l’Agence de l’eau Adour Garonne, Ecocert et EDF, a réuni différents acteurs pour faire le point.

Selon Stéphane Amant du cabinet de conseil Carbone 4, le risque climat englobe trois volets : les impacts de nature physique sur les actifs de l’entreprise, les risques de transition dans ce défi d’un monde à deux degrés, et le risque de responsabilité pour les entreprises très émissives appelées à rendre des comptes. "Évaluer l’exposition de son entreprise à ces risques, dont le plus important à mes yeux est le risque de transition, est une démarche encore balbutiante mais qui est appelée à se généraliser dans les années à venir", prédit l’expert. Un signal fort : l’évolution des acteurs de la finance. "Fin 2016, le FSB (Financial Stability Board) a demandé la création d’une task force, la TCFD, pour proposer aux entreprises des recommandations sur comment prendre en compte le risque climat et le reporter ensuite aux investisseurs."Ces recommandations font leur chemin", se réjouit Stéphane Amant : "le plus gros fonds mondial Blackrock vient d’imposer lors de l’AG d’Occidental Petroleum Corp un reporting environnemental beaucoup plus poussé dès 2018, dont un exercice annuel de « climate scénario planning » avec l’évaluation des risques liés à une transition vers un monde 2°C".

Qu’en pensent les assureurs ? Selon Adrian Richard, souscripteurs risques entreprises chez Generali, il y a de plus en plus d’événements extrêmes. « En France, les projections doublent le coût des dommages sur les 25 prochaines années ». Et cela coûte déjà 3% à 6% du résultat de l’assureur. C’est pourquoi Generali a lancé dès 2006 un programme de prévention et d’accompagnement de ses clients par rapport au risque climat : Generali performance globale. « Nous incitons les clients engagés à adopter des conduites plus vertueuses au regard de l’analyse de leur cycle de vie et de leur gestion de l’énergie. C’est une démarche d’atténuation qui a un impact de l’ordre de de 20% sur la réduction des sinistres et permet aux acteurs engagés plus d’agilité en cas de crise », souligne l’assureur. Reste que 10% seulement des clients sont engagés dans cette démarche volontaire. « Ce sont en priorité des PME qui ont la RSE au coeur de leur ADN. Pour les autres, le risque climat est plutôt perçu comme une contrainte face aux évolutions réglementaires, au changement de comportement des consommateurs et à la pression de leurs donneurs d’ordre soucieux de protéger leur supply chain. »

Oui, l’adaptation au risque de transition peut devenir une opportunité si on se positionne sur un marché avant les autres, confirme Solène Flahault, directrice affaires publiques et environnement chez ATR, l’avionneur leader des vols régionaux. Actuellement, le constructeur dispose d’une avance technologique qui lui permet de consommer 40% de moins de carburant sur son segment de marché mais l’aviation civile reste un moyen de transport très émissif, donc en risque de transition. « Nous accompagnons nos clients sur l’optimisation des systèmes d’approches, nous investissons beaucoup sur le cycle de vie de l’avion en design, sur la supply chain, sur le poids pour réduire les consommations », détaille Solène Flahault. Les acteurs de l’aviation civile sont aujourd’hui soumis aux contraintes de l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, qui a fixé des standards exigeants de réduction des GES pour les constructeurs et oblige les compagnies aériennes à compenser leurs émissions. Des engagements volontaires sont également pris mais seront-ils à la hauteur de l’enjeu ? Solène Flahaut ne cache pas que l’avion électrique n’est pas attendu avant 2030 et que les biocarburants ne sont actuellement pas rentables.

Pour Nicolas Treich, la prise en compte du risque climat doit effectivement se mesurer dans une analyse coût/bénéfice.« Le bénéfice en économie sur le changement climatique est la réduction des dommages », indique-t-il. « Et le coût : ce que cela coûte d’établir de nouvelles normes moins polluantes ». Le célèbre rapport de l’économiste Nicolas Stern estimait en 2006 que l’immobilisme face au changement climatique coûterait entre 5 et 20% du PIB mondial.« Mais comment faire bouger les acteurs ? Dans l’économie classique, c’est à l’État de réfléchir aux solutions pour rendre les entreprises plus vertueuses. »L’exemple de l’échec de la mise en place d’une taxe carbone mondiale prouve que c’est compliqué de mettre tout le monde en musique sur le climat« , ajoute Nicolas Treich. »Si un cadre contraignant classique n’est pas efficace, il peut y avoir une place pour la RSE mais il lui reste de vrais challenge pour être vraiment efficace. Les firmes proposent de s’engager mais veulent-elles vraiment réduire les dommages qu’elles font subir ?" Ce débat semble non tranché aujourd’hui.
Actuellement l’intégration du risque climat sur toute la chaine de valeur est donc balbutiante. Si certaines entreprises comme Vallourec ou Fives font de l’adaptation une opportunité de nouveaux marchés, la plupart des acteurs évoluent doucement poussés par les contraintes. Les récentes exigences des analystes financiers pourraient, cependant, accélérer la vitesse d’adaptation.
Aurélie de Varax
Photos Hélène Ressayres.