Blaise Desbordes, vous êtes intervenus lors des Rencontres du Développement Durable qui se déroulent jusqu’au 29 novembre. Le thème de votre table ronde était « Transformer le capitalisme, transformons nos entreprises ». Pour certains, la situation climatique est si grave qu’il faut renverser le capitalisme au lieu d’espérer le faire changer. Qu’en pensez-vous ?
C’est une école de pensée qui se défend. Le journaliste Hervé Kempf, que je connais bien (il a fondé le site Reporterre), le pense. Je vois les choses différemment. Chez Max Havelaar, nous sommes dans un dispositif en lien avec les entreprises. Nous ne cessons, avec notre label, de promouvoir notre modèle, c’est à dire des prix décents et garantis pour les producteurs. Notre but, avec le commerce équitable, est de placer la barre suffisamment haut pour que le capitalisme change et accélère même sa transformation.
Qu’est-ce que les entreprises doivent changer ?
Elles doivent comprendre qu’il n’y a pas que les données économiques qui font les entreprises. Tous les business ne se valent pas. L’humain doit être remis au cœur de la machine. Il faut que les entrepreneurs prennent en compte les externalités négatives de leurs activités, c’est-à-dire leurs effets sur l’environnement et la société. Pour cela, on a mis en en place un outil en ligne, l’Impact score, qui permet de calculer rapidement et à travers dix-sept indicateurs, l’impact social et environnemental des entreprises et savoir ce qu’il faut changer. Ce calcul peut servir de base à une nouvelle politique fiscale et d’aide aux entreprises qui encourage les sociétés les plus vertueuses. Cela ne coûterait quasiment rien à l’État et pourrait participer à transformer l’économie.
Est-ce que les décideurs politiques sont à l’écoute de cette proposition ?
La députée européenne Sylvie Brunet, présente lors de la table ronde, y était très réceptive. Elle est membre du groupe Renew Europe, celui de la majorité française actuelle LREM. Le marché étant global, agir à l’échelon européen est très pertinent. En Europe, cela fait plus de vingt ans qu’on parle de noter la performance sociale des entreprises. En 2001, la commissaire aux affaires sociales de l’Union européenne réclamait déjà un mécanisme comme l’Impact Score. Elle n’avait pas été entendue. Mais avec la crise environnementale, l’idée est de plus en plus audible.
Mais les pouvoirs publics ne vont-ils pas devoir faire face à de nombreuses réticences notamment des grands groupes industriels ?
Oui, il va falloir affronter certains conservatismes, c’est certain. Mais un danger peut-être plus important va être sans doute la multiplication de faux labels, comme dans le bio, qui vont masquer la réalité de l’impact social réel. L’État devra faire le ménage pour éclairer les citoyens.
Pourquoi le pouvoir politique en France semble agir lentement en termes de développement durable ?
Car l’État français n’est pas assez moderne. J’ai travaillé dans des ministères et pour la Cop 21 en France, j’ai vu la mobilisation exceptionnelle de certaines entreprises et acteurs locaux en faveur du développement durable. Il y avait une réelle combativité de leur part ! Mais l’État n’est pas à la hauteur, il ne soutient pas assez les forces positives sur le terrain. Face au mur du changement climatique, on n’a pourtant pas le temps, il faut multiplier les démarches !
Est-ce que l’échelon régional n’est pas l’endroit idéal pour agir sur le développement durable ?
Les régions n’ont pas suffisamment d’argent pour agir seules. Mais l’échelon local doit guetter les innovation positives et les faire remonter au national. Le Haut Commissariat au plan dirigé par François Bayrou pourrait être l’endroit qui répertorie ce qui se fait de bien sur le territoire pour pouvoir mieux le soutenir.
Comment Max Havelaar à vécu la période de confinement ?
Cela a été difficile pour les petits producteurs du Sud, notamment ceux de cacao, même si notre système assure un filet de sécurité puissant contre la pauvreté. Il a fallu que nous débloquions 7 millions d’euros pour qu’ils s’adaptent à cette situation inattendue d’urgence. Qu’ils puissent mettre en place le chômage partiel, les réglementations sanitaires et de distanciation sociale.
Le label Max Havelaar va bientôt concerner aussi la filière textile. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
On va lancer cette initiative courant novembre à l’occasion du Forum pour la paix de Paris. Le textile est le symbole de la mondialisation négative, avec des impacts très mauvais socialement et écologiquement. Engager une démarche de commerce équitable dans ce secteur est primordial. Certains grands noms de la mode vous nous accompagner. Nous les annoncerons en novembre. Cela va peut-être changer la donne, pousser d’autres entreprises à modifier peu à peu leurs pratiques.
Propos recueillis par Matthias Hardoy
Sur la photo : Blaise Desbordes, le directeur de Max Havelaar France. Crédit : Fabian Charaffi.